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Cours de philosophie pour les élèves des classes de terminale technologique


"La culture dénature-t-elle l'homme ?"

Publié par NL sur 25 Novembre 2015, 15:50pm

Catégories : #Cours complets, #Culture, #Nature

Le terme de "culture" vient du latin colere, qui signifie "mettre en valeur". Le terme signifie ainsi aussi bien la mise en valeur d'un champ (agriculture), que celle des facultés de l'homme, du corps (culture physique) comme de l'esprit.

Couramment, on parle de culture à propos d'une personne instruite et qui a développé grâce à cette instruction son jugement ("qui a de la culture"), ou l'éducation qui a pour but de produire ce caractère cultivé ("la culture").

Le terme de "culture" en vient, dans certains contextes, à être pris dans le sens de "civilisation", étant ainsi utilisé pour souligner l'éloignement de certaines ères culturelles entre elles, voire dénier toute culture à certains cultures dites primitives, ces dernières étant alors renvoyées à leur sauvagerie (proximité à l'égard de la nature).

Le terme de "nature", de son côté, renvoie, selon l'étymologie latine de natura, du verbe nascor, "naître", à ce qui préexiste à l'homme. Est naturel ce qui est hors du monde de l'homme, du monde produit et façonné, travaillé par l'homme.

Reste la question de l'être naturel de l'homme : la nature humaine désigne ainsi ce qui est commun aux hommes, et la nature d'une personne le caractère d'une personne singulière, par opposition aux acquis de sa culture, de son éducation, de ses expériences.

Mais si tout être humain est réputé un être de culture, faut-il alors que ce qui résulte de l'effort de l'homme sur lui-même et sur son environnement (par le travail, l'art, la technique, la morale ou la religion), c'est-à-dire sa culture, soit naturel ? Dès lors, faut-il voir dans la culture une construction humaine qui lui permet d'échapper à la nature, voire à sa nature, ou bien faut-il plutôt voir dans la culture une tendance naturelle et innée de l'homme ? Comment alors comprendre la diversité des cultures ?

On façonne des plantes par la culture, les hommes par l’éducation.

Rousseau, Emile ou de l'éducation (1762)

Jean-Daniel VERHAEGHE, La controverse de Valladolid (film), 1992

La reine Anacaona pendue  - gravure de Th. de Bry
La reine Anacaona pendue - gravure de Th. de Bry

Dans La Controverse de Valladolid, le cinéaste met en scène un débat historique ayant eu lieu en 1550, entre le théologien Sepulveda et le moine Las Casas, pour discuter du sort des indigènes de l'Amérique récemment découverte. Alors que pour le premier, les Indiens représentent une humanité dégradées, pour le second, les Européens sont en face d'une autre culture.

L'intérêt du film consiste dans la difficulté à éviter de hiérarchiser les cultures humaines, dès lors qu'on s'emploie à les lire à travers l'opposition entre nature et culture. Une telle opposition conduit ainsi nécessairement à faire du plus "naturel" un sauvage, voire un barbare, et finalement à nier qu'il ait quelque culture. C'est là le travers ou l'écueil que l'on nomme ethnocentrisme. L'ethnocentrisme est la tendance à considérer les autres cultures à l'aune, à la mesure de la sienne propre.

L'ethnologie, la science qui étudie les cultures humaines dans leur diversité, permet de lutter contre ce penchant humain qui biaise les échanges entre les hommes.

On peut ici traiter le problème de la manière suivante :

- d'abord, l'homme est un être qui se caractérise par une rupture par rapport au naturel, au donné, à l'instinctif. Qu'on l'explique par son intelligence, ou par des mythes, l'homme en quelque sorte manque de nature ou dépasse le naturel. Le rapport de l'homme à la nature est ainsi ambigu : ce qui est certain, c'est que pour cette créature raisonnable que l'on appelle l'homme, l'ordre naturel n'est pas le seul dans lequel il vient s'inscrire, du fait que l'homme est aussi être culturel (doté d'un langage, d'une histoire, de religion, capable de perfectionnement). L'homme se doit de faire un détour pour subvenir à ses besoins, et ses désirs paraissent d'ailleurs impossibles à satisfaire "naturellement", parce qu'ils ne sont pas simplement de l'ordre du besoin. Vercors, Les animaux dénaturés (1952). La culture ne dénature donc l'homme que parce que celui-ci n'a jamais été un être naturel, ou voué à le rester.

- toutefois, chaque homme a tendance à considérer comme lui étant naturel ce qui ne lui est qu'habituel, coutumier. Sa culture, ses représentations, valeurs et croyances, il les considère comme naturelles, et en ce sens considère en autrui d'autres représentations, valeurs et croyances comme contre-nature, sauvages, voire barbares. Montaigne, Essais, I. 31, "Des cannibales" (1580-1595). Mais cette culture n'est jamais sans doute que particulière, et ce d'autant que l'homme nie qu'il existe d'autres formes culturelles, ou ne traite jamais celles-ci qu'en inférieures. Claude Lévi-Strauss, Race et histoire (1952). La culture mal comprise, conçue comme unique ou impériale, niant les autres cultures, éloigne l'homme de la nature en en faisant pourtant paradoxalement un barbare, terme qu'il prête plutôt à ceux à qui il dénie toute culture.

- Et enfin, nature et culture ne peuvent s'opposer, si ce n'est comme la cause et la fin ; si l'être humain ne peut atteindre sa fin (la liberté, le bonheur, la société politique) qu'à travers un processus culturel, c'est la nature qui peut être comprise comme ayant prévue cette fin. Kant, Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmo-politique, Prop. III (1784). La culture, loin d'éloigner l'homme de la nature, l'en rapproche, mais au sens où cette nature dont elle le rapproche, est une nature spécifiquement humaine, qui ne peut s'atteindre que par le détour antagonique de la culture.

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